Stéphanie, quelles ont été les étapes marquantes de votre carrière?
Je suis née à Lausanne dans le canton de Vaud, mais j’ai grandi à Neuchâtel et je me considère donc plutôt comme une neuchâteloise. J’ai suivi des études de chimie à l’EPFL. Ce qui me plaisait dans cette discipline, c’était le mélange entre le côté scientifique et pratique, ce côté ludique et magique de pouvoir créer de la matière. J’ai également réalisé un échange d’une année au Canada. En 2002, j’ai commencé mon doctorat en science des matériaux à l’ETHZ à Zurich. J’ai passé une partie de ma thèse en Australie. Puis j’ai eu mon premier emploi au CSEM à Neuchâtel, dans le secteur qui développait des biocapteurs, soit des dispositifs capables de mesurer des valeurs biologiques. Pendant sept ans, j’ai entre autres développé des capteurs sur fibre optique, pour les textiles ou les pansements, ou encore des systèmes pour mesurer les contaminants dans la nourriture. Pour des raisons professionnelles et familiales, nous avons déménagé à Zürich. J’ai travaillé deux ans chez Sensirion, qui produit notamment des capteurs d’humidité. Puis nous sommes revenus à Neuchâtel, avec nos deux enfants.
J’ai travaillé ensuite trois ans au Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) à Berne dans la coopération internationale, pour le montage de programmes de coopération scientifique entre la Suisse et d’autres pays. J’y ai appris beaucoup sur le financement de la recherche, ainsi que sur la communication, en particulier dans un contexte international. Mais la recherche me manquait et j’ai saisi l’opportunité de revenir au CSEM, dans le groupe qui développe des biosystèmes.
Un domaine central dans le groupe des biosystèmes est la technologie des «organ-on-chips». De quoi s’agit-il?
Grâce aux compétences variées qui existent au CSEM (biologie, chimie, physique, électronique, microtechnique, mécanique), nous développons des «organ-on-chips». L’idée est de recréer, en laboratoire, le fonctionnement d’un organe donné sur une puce microfluidique. Des cellules sont placées sur un dispositif, nourries et soumises à des thérapies médicamenteuses afin d'observer leur réaction.
À terme, cela pourrait permettre de remplacer la recherche animale. De plus, lorsqu’un médicament est administré à un-e patient-e, la réaction varie pour chaque individu car leur système immunitaire est unique. Grâce aux «organ-on-chips», il serait possible de mettre les cellules d’un-e patient-e donné-e sur cette puce et d’analyser les effets de la thérapie sur une personne, avant de la traiter. Il reste encore beaucoup de recherche, notamment car les systèmes sont encore peu pratiques. De nombreuses étapes manuelles sont nécessaires, la fiabilité et la vitesse doivent être améliorées. Il nous faudra industrialiser ces systèmes afin que les acteurs pharmaceutiques puissent les utiliser.
Quelles sont aujourd’hui les demandes pour cette technologie?
C’est un domaine assez nouveau et prometteur. De petites entreprises ou startups ont une idée, avec une super technologie qui sort de leur laboratoire. Nous les assistons grâce à notre compréhension du produit ainsi que nos technologies de micro-nano fabrication. Le pas vers la production est un vrai challenge et demande une multidisciplinarité difficile à trouver dans un petit laboratoire.
Nous collaborons en particulier avec différents groupes spécialisés du CSEM: microfluidique, traitement du signal, électronique intégrée. Nous unissons nos forces, le fait de tout avoir dans la même institution est assez attractif pour l’entreprise qui nous mandate.
Quels sont les projets que vous menez actuellement?
Nous travaillons avec une entreprise spécialisée dans l’impression biologique. À la place de mettre de l’encre, ce sont des cellules et des gels qui sont utilisés. Cela permet un haut niveau de précision en 2D et 3D. Dans le cadre du mandat donné par l’entreprise, nous réfléchissons à une tête d’impression plus efficace, stérile, qui soit aussi biocompatible avec les cellules. C’est indispensable pour la survie des cellules lors de l’impression.
Nous développons également des bioréacteurs capables de conserver ou maturer des agglomérats de cellules ou mini-organes in vitro, qui garantissent un environnement adéquat pour ces tissus vivants, et permettent de leur délivrer les nutriments nécessaires ou mesurer les constantes biologiques. Ces biosystèmes intégrés constituent ainsi une plateforme qui permet simultanément l’administration de produits et la caractérisation des tissus biologiques dans un même dispositif, tout en minimisant les opérations manuelles, menant à une meilleure fiabilité et un moindre coût.
Quand pensez-vous que la technologie des «organ-on-chips» sera diffusée à plus large échelle?
Pour des systèmes biologiques simples comme des agglomérats de cellules (foie par exemple), certains pourraient déjà être testés par les entreprises pharmaceutiques dans les cinq ans. Pour un vrai système intégré, j’imagine qu’il faudra encore dix ou 15 ans de recherche.
Les plus grands challenges dans la recherche que vous menez?
À ce stade, le challenge est surtout technique. Nous devons réussir à proposer un système assez simple, fiable et utilisable par des personnes qui ne sont pas forcément familières avec celui-ci. Il y a évidemment tout le processus d’acceptation de la part des entreprises pharmaceutiques, mais nous n’en sommes pas encore à ce niveau d’avancement.
Stéphanie Boder-Pasche, Experte R&D Nanoscale Technologies, habite à Neuchâtel. Passionnée par son travail, Stéphanie investit également beaucoup de temps avec ses trois enfants et son mari, avec qui elle pratique notamment le ski et le bateau.